Voilà que s’achève une semaine bien agitée pour Vancouver.. si vous n’y habitez pas, vous avez probablement vu dans les journaux ce qui s’y est déroulé mercredi soir, mais le plus important est ce qui s’est passé jeudi… mais récapitulons un peu d’abord.
Mercredi soir, les Canucks de Vancouver affrontaient les Bruins de Boston en finale de la coupe Stanley, un des trophées les plus importants en hockey sur glace. Les enjeux étaient de taille (pour ceux qui se soucient de ce genre de truc), mais je vous redirigerai vers mon article d’il y a 3 jours si vous voulez plus de détails. L’important est de savoir que la dernière fois où les Canucks etaient en finale, en 1994, ils avaient perdu et des émeutes avaient éclaté en centre-ville. Malgré l’optimisme ambiant dans la ville depuis le début de la semaine, tout le monde se demandait ce qui arriverait après le match.

On pouvait se dire que c’était mal parti en voyant le nombre abherrant de gens venus regarder le match dans les “fan-zones” du centre-ville sur écran géant. Là où, pour les matches précédents, tout le monde était gentiment assis par terre, c’était tellement blindé mercredi soir que tout le monde était debout, inconfortablement serrés, et avec une vue souvent obstruée de l’écran géant.

Il y avait aussi plus de crétins que d’habitude, entre ceux qui arrivaient déjà tout excités à coups de “Fuck Boston!”, et ceux qui escaladaient tout et n’importe quoi pour mieux voir.


Il n’y avait pourtant pas grand monde de bourré, d’après ce que j’ai pu voir. Les magasins d’alcohol avaient été forcés de fermer en milieu d’après-midi, et la police contrôllait l’entrée des “fan-zones” pour empêcher l’introduction de boissons alcoolisées et d’objets dangereux.

Assez rapidement, un doute planne quand même sur la ville. Les Bruins sont clairement meilleurs, et les Canucks, endormis, se font mener 1-0, puis 2-0, puis 3-0… Avant même que le score final ne soit atteint (un honteux 4-0), les gens commençaient déjà à partir. Certains parce qu’il étaient juste dégoûtés, mais d’autres (par exemple les familles avec enfants) parce qu’ils craignaient des violences à venir. A la fin du match, certains balancent leurs déchets vers l’écran géant et d’autres commencent à s’exciter. Un feu est allumé dans une poubelle… c’est le début d’une émeute pas comme les autres.
Imaginez un petit groupe de gens qui font un feu, puis vont renverser une voiture un peu plus loin…. et des dizaines de milliers de gens autour qui regardent et prennent des vidéos avec leur téléphone (il y avait plus de 100.000 personnes répartis sur quelques pâtés de maison à l’origine). C’est assez surréel. Alors que tout le monde allait partir dépité, tout d’un coup il y a un truc excitant qui se passe et ils décident de rester pour voir. C’est con les gens.
Face à une foule émotionellement volatile et en quête des sensations fortes qui lui ont manqué pendant le match, la police prépare l’équipement anti-émeute à quelques blocs de là. Mais un ami raconte comme ça s’est passé: à la simple vue des boucliers et des casques, les gens qui s’en allaient changent d’attitude et font demi-tour pour aller voir ce qui se passe! C’est con les gens.

S’il est facile de décrire à quel point les réels casseurs – ceux qui ont brûlé les premières voitures, cassé les premières vitrines et dévalisés les premiers magasins – sont des petits cons de racailles qu’on devrait nettoyer au kärcher (je vous fais un mix sarkoziste pour l’occasion parce que j’ai pas trouvé grand chose dans les discours de Ségolène), on ne pourra jamais assez répeter à quel point tous ces gens qui sont restés plantés là comme des moutons sont aussi des crétins de premier ordre. Entre les gros blaireaux qui se prenaient fièrement en photo devant les voitures en feu et ceux qui poussaient des cris d’encouragement aux casseurs, tous ces gens ont largement empêché la police de faire son travail. Sans eux, les forces de l’ordre auraient été en mesure d’intervenir immédiatement et d’arrêter le petit groupe de vandales avant qu’ils ne fassent plus de dégâts ou qu’ils motivent d’autres à les rejoindre.
L’émeute en elle-même était ensuite très classique – mais simplement à une échelle vancouvéroise: une quinzaine de voitures retournées et brûlées, une dizaine de magasins vandalisés, et la police montée canadienne sur leurs beaux chevaux. Mention spéciale pour la police, d’ailleurs, qui est restée totalement de marbre face aux déluges d’insultes, de débris, et de gens qui s’embrassent par terre (oui, je sais, cette photo a été expliquée et c’est pas vraiment ça qui se passe, mais bon…).
Tout ça nous amène donc à ce qui est le plus intéressant, et qui ne sera probablement pas relayé dans les journaux étrangers.
Comme d’habitude de nos jours (et d’autant plus sur la west coast), ça commence sur Twitter et Facebook. Pendant la nuit, des milliers et des milliers de vancouvérois font part de leur indignation face aux évènements qui se déroulent en direct sur les télévisions locales. C’est qu’en France on est blasés, mais pour les gens de Vancouver, c’est du jamais vu. Enfin, du très rarement vu. Genre une fois tous les 15 ans (chez nous en France c’est limite une fois tous les 15 jours…). Et c’est probablement inconcevable pour des français, mais les vancouvérois sont réellement attachés à leur ville – sa beauté, sa propreté, la civilité bien canadienne de ses habitants, leur sens communautaire, leur communion avec la nature, leur yoga, leurs petits chiens dans des poussettes, leur magasins de produits organiques hors de prix, leur… euh, je m’emballe un peu mais bon, vous voyez le topo. Voir des émeutes pareilles se dérouler au coeur de leur ville était un réel choc. Ils étaient si fiers d’avoir pu montrer leur belle ville au monde entier pendant les Jeux Olympiques – c’était pas pour qu’une bande de voyous lui détruise sa réputation en une soirée. Beaucoup de vancouvérois étaient donc motivés pour rétablir l’image de marque de leur ville le plus vite possible.
Avant minuit déjà des groupes de volontaires s’organisent pour venir nettoyer le centre ville. D’autres groupes, sur Facebook ou Tumblr, essaient de traquer les photos et vidéos postées par les milliers de couillons dont on a parlé précédemment, et qui permettront au moins d’identifier un bon nombre de vandales, pilleurs, pyromanes… ou juste de rigoler un peu. Le nombre de photos disponibles est ahurissant, la traque est sans pitié, mais la tâche est bien facile puisque ces idiots vont pour la plupart se vanter de leurs actions sur leur profil Facebook, dont des captures d’écran seront rapidement postées sur internet et envoyées à la police. Enfin, une tendance nait consistant à poster articles, photos ou vidéos qui montrent comment Vancouver c’est pas du tout des gens qui pètent des vitrines et qui gueulent, mais bel et bien toujours l’un des meilleurs endroit où vivre au monde grâce à la civilité bien canadienne de ses habitants, sa nature, son yoga, ses petits chiens dans… euh… enfin bref, que c’est top moumoute.

A 10h le lendemain matin la ville est déjà complètement nettoyée par les services municipaux aidés de centaines de volontaires. Ces volontaires auront d’ailleurs quelques jours plus tard droit à un petit déjeuner offert par The Bay ainsi que quelques autres cadeaux de remerciement de la part des commerces du quartier. Les seuls indices des émeutes de la nuit sont les abris de bus endommagés et les vitrines des magasins remplacées par du contre-plaqué.

Des vancouvérois decident alors d’ecrire sur les panneaux de The Bay (un équivalent canadien des Galleries Lafayettes): messages de soutien pour les Canucks, messages d’excuses pour les propriétaires de magasins ou pour le monde entier, mots d’amour pour Vancouver, sa nature, son yoga, ses petits chiens dans des… MERDE, c’est dingue ça, désolé, je sais pas, ça vient tout seul. Bref. Tout le monde y va de son petit mot sentimental.

En fin d’après-midi, il est difficile de trouver une seule planche vierge en centre-ville.


Une voiture de police, dont Véronique a des photos, est également soudainement recouverte de post-its de remerciements à la police vancouvéroise qui, si on peut lui reprocher un certain manque de préparation et de prévention, a quand même très bien géré la situation.

Comme le disait la même Véronique, qui m’a ôté les mots des doigts, ça montre à quel point le Canada, et particulièrement Vancouver, est bel et bien le “pays des bisounours”, comme on aime à l’appeller. Et en tant que gros français cynique poilu, je ne me lasse pas de m’extasier sarcastiquement devant ces différences de mentalité… mais ça me rappelle aussi pourquoi j’ai quitté la France, et pourquoi je me suis installé ici.
